Conséquences des violences sexuelles dans l’enfance sur la sexualité adulte : le témoignage de Sophie*

Par Samir Ben Salem, psychanalyste

Dans le cadre d’un suivi psychologique, j’ai reçu Sophie * (nom d’emprunt) alors âgée de 23 ans et étudiante, qui a été victime de violences sexuelles dans l’enfance perpétrées par son frère et qui vivait des troubles de la sexualité, se manifestant principalement dans ce cas par de l’hypersexualité. Elle a voulu témoigner afin d’illustrer la première partie de notre article. Dans une volonté d’aider à mettre en lumière cette problématique méconnue mais pourtant très répandue chez les victimes, elle revient avec moi sur son travail thérapeutique autour de cette question.   

C’est dans le cadre de la psychothérapie que j’ai perçu cette problématique de l’hypersexualité chez elle. Cela s’est manifesté la première fois par une attitude de séduction dont Sophie n’avait pas conscience. Le contexte thérapeutique n’a eu aucun effet d’inhibition sur son fonctionnement hypersexualisé. J’ai utilisé cette situation pour lui faire remarquer sa dynamique, ce qui a ouvert sur tout le travail dont elle va vous parler maintenant.

  Samir : Comment vous vous souvenez de ce moment Sophie ?   

 Sophie : On avait commencé la thérapie depuis quelques semaines et lors de cette séance on parlait de culture générale, donc un sujet très neutre qui n’avait pas de rapport avec la sexualité, quand j’ai senti une excitation. Je l’ai reliée à une attirance en lien avec l’intelligence que je percevais chez vous, sans prendre en compte tout le contexte thérapeutique et que ça n’avait pas sa place. L’excitation sortait en fait vraiment de nulle part et venait comme un automatisme, ce que je comprendrai plus tard. Voir qu’un homme m’écoutait, faisait attention à moi m’a fait m’imaginer plein de scénarios qui passaient forcément au préalable par une relation sexuelle ; faisant disparaitre tout le contexte autour, en l’occurrence ici le contexte thérapeutique et le fait que ce n’était pas une relation envisageable. Après des discussions avec vous où vous me l’avez fait remarquer puis où vous avez instauré une limite, j’ai pris conscience que j’avais ce comportement de façon systématique avec tous les hommes et que c’était la première fois que l’un d’eux me mettaient une limite au lieu d’en profiter.

  Samir : A partir de ce moment-là j’ai commencé à poser plusieurs questions à Sophie pour mieux saisir comment sa dynamique sexuelle se manifestait et pour cela j’ai par exemple questionné ses relations amoureuses et les hommes qu’elle a connus. 

 Sophie pouvez-vous revenir sur vos relations passées ?  

  Sophie : Je me souviens que la première fois qu’on a parlé de ça, vous m’avez posé une question assez bateau : quelles étaient pour moi les différences de définition entre relation d’amitié et relation amoureuse. J’ai été incapable de les différencier, pour moi les deux étaient imbriquées : je pouvais envisager une relation charnelle avec mes amis. La sexualité s’infiltrait partout. Evidemment, quand je vous ai dit ça je n’ai pas vu de problème. En effet, mes relations amoureuses et sexuelles les plus longues ont été avec deux amis (une femme et un homme). Les deux relations se sont enchaînées, voire juxtaposées puisqu’une dynamique sexuelle (sans passage à l’acte) s’est installée entre mon ami et moi alors que j’étais encore avec ma petite copine. Jusqu’à avoir une relation finalement avec lui après avoir quitté ma copine. Il est donc à son tour passé d’ami à amant. Puis ces deux personnes, qui se connaissaient, ont fini par se mettre ensemble tandis que je devenais la maitresse de mon ex-copain. Un triangle sexuel. C’est en vous racontant toute cette histoire que j’ai commencé à voir un peu mieux le problème.  

Pour mes autres relations, c’était également problématique :  

– Un ami qui disait vouloir quelque chose avec moi, ce que je refusais jusqu’au moment où il s’est désintéressé pour coucher avec une de mes amies. Je suis donc entrée dans une dynamique très sexualisée pour le récupérer, même s’il ne m’intéressait pas. Au point de me mettre en danger car, quand il a voulu une relation sexuelle qu’en fait je ne voulais pas, il a cherché à l’imposer. 

– Un ami de mon frère pour qui je n’avais aucun véritable sentiment. Mon ex copain avait mis fin à notre relation de maitresse / amant, et lui m’avait déjà dit que je lui plaisais. Je savais que je pouvais coucher avec lui si je le voulais. J’ai donc entamé une relation avec lui, caractérisée essentiellement voire uniquement par la sexualité. Relation dont je pensais avoir le contrôle : je pensais le manipuler pour obtenir ce que je voulais mais dans les faits, je sentais que je n’avais envie de rien.

– Un homme rencontré sur une application de rencontre que je voyais uniquement dans un cadre sexuel alors même qu’il me dégoutait physiquement et psychologiquement (sa personnalité). Avec lui aussi, je me suis mise en danger, j’ai eu des relations sexuelles que je ne voulais pas. 

– Mon banquier qui après un rendez-vous m’a proposé de se revoir dans un cadre personnel au restaurant, le soir-même. J’étais surprise mais flattée, je ne voyais pas de problème, j’ai donc accepté. Toutes les limites que je m’étais fixé avec lui n’ont pas tenu, j’étais comme dans un état hypnoïde  : il m’a embrassée alors que je ne voulais pas, il m’a imposé des rendez-vous très tard la nuit alors que je ne voulais pas, et il a fini par m’emmener chez lui alors que je ne voulais pas. Là encore je me suis exposée à des dangers puisque ça s’est fini par une agression sexuelle. Et cela n’a même pas suffi à me faire arrêter de le voir, tellement l’état hypnoïde était fort et que je pensais avoir besoin de lui.

 – Le coloc de mon ancien coloc, vu une fois, avec qui j’étais également dans un état hypnoïde. Je n’arrivais pas à lui dire non, et je sentais que je ne contrôlais rien au point où je vous ai appelé à l’aide pour me freiner et ne pas aller le voir pour coucher avec lui.

– En plus de ma relation extra-conjugale avec mon premier petit ami mentionné plus haut, j’ai eu plusieurs relations avec des hommes mariés, sans voir le problème sur le moment.  

Pour toutes ces relations, je n’avais pas conscience de ce qu’il se passait vraiment, des dynamiques en jeu, de ce que j’avais vraiment envie ou non, et des dangers auxquels je m’exposais. Le seul élément qui faisait sens pour moi quand j’ai discuté avec vous de toutes ces relations c’était l’état hypnoïde que vous avez mis en évidence. 

Avec tout le travail thérapeutique, je suis aujourd’hui horrifiée et choquée de toutes ces histoires et de leur ampleur. J’ai le sentiment qu’il y aurait pu avoir des conséquences bien plus graves que ce que j’ai subi.  

 Samir : J’aimerais bien qu’on revienne sur cet état hypnoïde qui vous a tout de suite parlé quand on l’a abordé. 

 Sophie : Je peux décrire des situations pour que ce soit plus parlant. Pour mon banquier par exemple, l’état hypnoïde commence déjà lors de sa proposition de rendez-vous. Je n’ai aucun raisonnement qui se met en place, j’accepte spontanément, sans me poser de question. Je ne sais même pas si c’est quelque chose que je veux ou non, s’il me plait ou non, je ne le connais même pas. J’accepte simplement. Toutes les fois où on s’est vu suite à ça, j’étais dans un comportement passif, c’est à dire que j’attendais les instructions et je suivais le mouvement. C’est comme ça que j’ai pu le revoir à 2h du matin au lieu de 17h et que j’ai fini dans un bar avec lui, à consommer plus que ce que je ne voulais puisqu’il voulait à tout prix que je continue de boire. L’alcool a par la suite contribué encore un peu plus à cet état hypnoïde qui est en fait un état dissociatif : j’avais l’impression de planer, j’avais moins de contrôle, je me laissais encore plus porter, etc.  En sortant du bar, je voulais rentrer chez moi pour aller aux toilettes. Ce qu’il ne m’a pas laissé faire bien que j’habitais à quelques minutes à pieds car il voulait « [me] kidnapper pour la nuit » pour le citer. Je n’ai compris le sens de cette phrase que des mois plus tard, sur le moment je n’ai même pas tilté. Nous sommes donc allés chez lui, meilleur endroit selon lui pour aller aux toilettes, ce qui avec du recul me parait délirant, mais sur le moment là non plus je n’avais pas vu le « subterfuge », pourtant évident aujourd’hui à mes yeux. J’ai quand même réussi à « imposer » une condition qui était d’aller chez lui simplement pour aller aux toilettes puis repartir pour passer la nuit ensemble ailleurs, mais où je ne savais même pas. Ça non plus n’avait aucun sens, mon cerveau était comme débranché. Je suis donc montée dans sa voiture et pendant une fraction de seconde, quand les portes se sont verrouillées et que j’ai vu la voie rapide, je me suis dit que peut-être j’allais mourir. Que je ne pouvais plus descendre, que je ne savais pas où j’allais et que je dépendais de lui sachant qu’il habitait à 40 minutes de voiture de chez moi. Evidemment la suite ne s’est pas passée comme je le pensais, il ne m’a jamais laissé repartir cette nuit-là et il a mis du temps à entendre mes « non » répétitifs pour ne rien faire avec lui.   

 Samir : C’est vrai qu’un détour de 40 minutes pour aller aux toilettes alors que vous habitiez à 5 minutes de là, c’est un peu gros comme subterfuge (rires).   

 Sophie : (rires) Oui ça me saisit d’effroi, et aujourd’hui je réalise encore plus le niveau de danger dans lequel je me suis retrouvée. Le pire c’est que même après cet événement je n’arrivais toujours pas à résister à ses demandes. Je n’arrivais pas ignorer la moindre sollicitation de sa part, et encore moins à lui dire non. Pourtant, je le voulais, mais j’en étais incapable. Le fait que je n’arrivais pas à résister à ses sollicitations alors même que je ne voulais pas y répondre m’a mis dans un tel état que je vous ai écrit pour me sortir de cet impasse. Et c’est vous qui m’avez aidé à écrire un message de rupture.

 Samir : C’était la première fois que vous sentiez que vous n’aviez pas le contrôle de la situation.  

 Sophie : Oui dans toutes les autres relations, je pensais avoir totalement le contrôle, à chaque fois. Je pensais que c’était moi qui manipulais les hommes qui croisaient ma route, que j’avais le pouvoir de les faire craquer, d’obtenir ce que je voulais, etc. notamment par mon corps et en particulier par la sexualité. J’utilisais mon corps comme une arme pour obtenir ce que je voulais, c’est à dire de l’attention. Au final, même si je jouais sur la dynamique sexuelle, je ne trouvais aucun épanouissement et aucune satisfaction dans une relation sexuelle. Pire, en fait je ne la voulais pas vraiment : une fois sur le moment, toute mon excitation retombait et je n’avais plus envie de rien. Je me qualifiais du coup de la femme la plus frustrante au monde. Mais avec mon banquier, dès le début j’ai vu que je ne contrôlais rien et que j’étais complètement passive d’où le fait que quand on a parlé en thérapie de l’état hypnoïde, ça m’a tout de suite parlé.  

 Samir : Mais en fait même dans vos autres relations où vous pensiez avoir le contrôle ça n’était pas le cas. C’était de l’hypersexualité.  

 Sophie : Oui, et je ne l’ai pas vu tout de suite. Pour moi à l’époque j’avais donc cette idée de tout contrôler et d’obtenir ce que moi je voulais. Je pensais savoir ce que j’aimais, ce que je désirais, et d’être en accord avec tout ce qui se passait. J’avais l’impression de choisir les hommes vers qui j’allais. Bref j’avais l’impression d’être dans une normalité absolue. En fait, ce n’était pas du tout le cas. Il a fallu tout relire dans le détail à la lumière du diagnostic d’hypersexualité, pour que je voie les beugs. Par exemple je ne choisissais pas les hommes. Tout homme qui venait vers moi, qu’il me plaise ou non, ne rencontrait aucune résistance. C’était donc eux qui me choisissaient et non l’inverse. La simple possibilité de refuser une relation sexuelle n’existait même pas. Et c’est comme ça que je pouvais aller avec n’importe qui, n’importe quand, faire n’importe quoi, tout en croyant le vouloir. Pourtant mon corps me disait que ce n’était pas le cas mais je n’avais jamais interprété ses signaux en ce sens. Pour moi tout ce que je vivais était normal. Par exemple, mon excitation sexuelle retombait d’un coup et je ne voulais plus qu’on me touche. L’idée d’une relation sexuelle à ce moment-là me révulsait et augmentait les nausées et les maux de ventre que je ressentais dans le contexte de la sexualité. Si malgré tout j’étais capable d’avoir une relation sexuelle, le rapport était compliqué. Par exemple toute pénétration était très douloureuse voire impossible. Encore une fois j’étais la femme la plus frustrante. Soit je ne voulais tout simplement plus du rapport alors que j’avais donné l’impression inverse quelque minutes avant. C’était même moi qui recherchais ce rapport étant donné mon niveau d’excitation très haut. Soit je n’étais plus physiquement fonctionnelle pendant le rapport. J’en arrivais à maudire mon corps de ne plus fonctionner alors que j’en avais envie. Je détestais être cette femme ultra frustrante.  

 Samir : En fait ce que vous me décriviez était la dyspareunie et le vaginisme. Lorsque j’ai évoqué ces termes ça vous a parlé.  

 Sophie : Oui, après l’explication et la lecture des définitions. Avant ça, pour moi c’était juste mon corps qui avait décidé de me poser problème, encore une fois. J’ai toujours eu plein de souffrances, il y avait rien de nouveau. Là je comprenais ce que je vivais, d’autant plus qu’on en a parlé comme une conséquence des violences sexuelles. Tout commençait à faire sens. Ce n’était pas un beug isolé parmi d’autres beugs de mon corps, c’était une conséquence directe des violences sexuelles subies dans l’enfance.   

 Samir : Dans la même lignée, les maux de ventre et les nausées que vous ressentiez avec chaque excitation, vous les pensiez aussi normaux.  

 Sophie : Oui j’étais persuadée que c’était un effet secondaire de ma pilule puisque les maux de ventre étaient les mêmes que ceux que j’avais lors de mes règles. Les nausées étant aussi un symptôme que j’avais lors de celles-ci, j’ai associé le tout. C’était donc normal pour moi. J’ai mis du temps à lâcher cette explication. Je suis allée jusqu’à prendre la décision d’arrêter ma pilule du jour au lendemain pour voir si les douleurs persistaient ou si elles s’arrêtaient. J’étais persuadée qu’elles allaient s’arrêter, mais ça n’a pas été le cas. Ce n’était donc pas la pilule le problème mais bien en lien avec l’excitation sexuelle. 

 Samir : Et cette douleur en plus vous l’aviez quasiment tout le temps.  

 Sophie : Oui parce qu’en fait j’avais une excitation sexuelle quasiment constante, avec des pics d’intensité. Dans ces pics, j’avais un flot d’images sexuelles continues, souvent violentes, souvent humiliantes. Par exemple, des images de fellation avec toute une dynamique de soumission, pour les images les plus soft. Ces images s’imposaient et devenaient intrusives et envahissantes, au point de m’empêcher de fonctionner. Ça me sortait de mon travail. Je passais un temps infini à essayer de lutter contre, ce qui était vraiment épuisant. Et inefficace. Seul un passage à l’acte semblait pouvoir les faire cesser, d’où le fait que je pouvais aller avec n’importe quel homme qui disait vouloir de moi. Je pouvais donc passer des heures à entretenir des discussions très sexualisées, très graphiques pour me sortir ces images de la tête, en espérant conclure la discussion par une relation sexuelle. J’avais besoin d’une relation avec quelqu’un. La masturbation ne servait à rien, ça ne soulageait rien, voire ça augmentait mes douleurs et mon dégout. Dégout que je ressentais à chaque fois que les images s’imposaient mais aussi pour le sexe de façon plus générale. Pour moi le sexe était associé à quelque chose de sale et de déviant en soi. Même les actes les plus normaux dans le cadre le plus sain. Tout cet ensemble me faisait dire que j’étais déviante. Accéder à une sexualité normale faisait de moi une « salope » à mes yeux, et les images qui s’imposaient et par extension les fantasmes qui en découlaient renforçaient cette représentation que j’avais de moi. Quelqu’un de normal ne devait pas être excité par les images qui moi m’excitaient. 

 Samir : C’était des compulsions liées à une addiction sexuelle que vous viviez.

 Sophie : Et ça j’ai mis du temps à l’admettre ! Parce que ça venait rendre pathologique un comportement que je pensais normal chez moi même si déviant. Parce que moi j’étais déviante donc mon comportement était à mon image. Je préférais me considérer comme déviante plutôt qu’admettre que j’avais un problème sur lequel je n’avais pas de prise. J’ai vraiment réalisé à ce moment-là que je n’avais aucun contrôle sur rien, et que tout se faisait malgré moi. Et c’était insoutenable, moi qui ai besoin de tout contrôler. Pire, je ne savais même pas ce que je voulais ou non, ce que j’aimais ou non, ce qui m’appartenait ou appartenait à la pathologie et par extension au trauma (violences sexuelles). Je préférais être déviante que reconnaître que j’avais été agressée sexuellement et que ça dirigeait ma vie. Les dysfonctionnements sexuels (vaginisme, dyspareunie) ont encore pris plus de sens à ce moment-là.   

Voir tous mes comportements relationnels et sexuels sous cette nouvelle lumière m’a donné le vertige. J’ai eu une retrospective de toutes mes relations et de tout mon mal-être associé que je refusais de voir. Tout était à vomir. Je me mettais en danger constamment : hommes inconnus, relations non protégées, etc. J’étais au final une véritable poupée : j’allais où on me demandait d’aller, je faisais ce qu’on me demandait de faire, je répondais aux envies des autres et ça m’était égal de ne pas être satisfaite. Ma satisfaction ne passait même pas par moi, mais uniquement par l’autre. Et le problème c’est que même en le sachant, je n’arrivais pas à mettre fin à tout ça. Le seul moyen de lutter c’était de devenir entièrement abstinente, ne plus sortir, ne plus rencontrer personne. Mais c’était assez utopiste car je finissais toujours par croiser un homme et ça recommençait. Pire, il n’y avait même pas forcément besoin de sortir, il y avait les réseaux sociaux.

 Samir : Vous ne vous rendiez pas compte que c’était la seule façon pour vous d’être reconnue. Etre naturellement déviante est une contradiction dans les termes. Toute la logique que vous décriviez  mettait en exergue la dynamique de l’addiction. Vous aviez des pensées obsédantes qui vous empêchaient de fonctionner et qui entrainaient un passage à l’acte non voulu. Ce passage à l’acte entrainait à son tour un mal être à la fois physique et moral qui se traduisait par des maux de ventre, des nausées, de la culpabilité et une image très dégradée de soi, jusqu’à ce qu’un phénomène de résolution se fasse et que l’obsession reprenne entrainant un nouveau passage à l’acte et ainsi de suite… Sur le plan neuronal c’est le circuit de la récompense qui est activé. Celui-ci est au coeur des phénomènes d’addiction. 

En outre, ce sont des comportements qui vous mettaient en danger sur le plan physique, psychologique et relationnel. Vous n’en tiriez aucune satisfaction. De très grandes prises de risques, un mal-être indéniable, une dépossession de soi qui n’a rien à voir avec l’attitude qui serait de cultiver une déviance pour son propre intérêt au détriment de celui des autres. Rien à gagner, tout à perdre.   

Sophie :  Tellement pas de satisfaction que pour moi ces relations sexuelles étaient vides, sans signification. Je ne me rappelais même pas de tous les actes sexuels que j’avais pu réaliser. Ou alors je le savais mais aucune visualisation m’était possible. J’oubliais. Je pensais avoir eu peu de relations parce que justement c’était vide. Donc ça ne comptait pas. Mais j’ai pris conscience du nombre. Je me suis fait peur. Encore plus quand j’ai réalisé que la dyspaneurie et le vaginisme ont limité la quantité de mes relations à risque. Sans ces troubles, la liste aurait été encore plus longue. J’aurais pris encore plus de risques mais mon corps ne me suivait pas. Quand ces problèmes de dyspareunie et de vaginisme se sont résorbés au cours de la thérapie, mes comportements à risque ont encore plus explosé. Même quand je reprenais possession de certains territoires ça jouait une nouvelle fois contre moi. J’avais encore moins de freins.

 Samir : D’autant plus que concernant la sexualité, la société applique quasi exclusivement une grille de lecture libertaire qui invisibilise ces problèmes que pose l’hypersexualité.  

 Sophie : Après le « kidnapping » de mon banquier où j’ai vraiment eu très peur, et une relation qui m’avait laissée KO psychologiquement pendant plusieurs jours, on a convenu avec vous d’une suspension temporaire des relations avec les hommes, afin d’éviter une énième situation à risque qui pourrait finir bien plus mal. D’autant plus que mes ressources étaient proches de l’épuisement à ce moment-là, je me laissais mourir. Alors que moi je cherchais à me protéger, mes proches (amis et famille) ne comprenaient en effet pas cette suspension des relations. Pour eux ce n’était pas normal, j’étais jeune et je devais en profiter. Il n’y avait rien de mal à enchaîner les hommes, qu’ils soient célibataires ou non. Sans vous, je n’aurais jamais vu le problème de ces relations. Relations qui au contraire étaient encouragées par mes proches.   

Cette suspension a été la base de tout un travail qui m’a permis de réussir à dire « non » en accord avec ma pensée, ce qui n’était jamais arrivé auparavant. J’ai réussi à savoir ce que je ne voulais pas et à le signifier, au détriment des envies de l’autre mais au profit des miennes. Le premier « non » posé a été une véritable fierté pour moi. J’étais fière d’enfin réussir après tant d’essais. Evidemment, il y a eu d’autres rechutes et parfois j’ai repris des comportements automatiques comme une poupée, mais les « non » étaient de plus en plus réguliers et tenaient de plus en plus dans le temps malgré les assauts infinis des hommes. J’ai même pu entretenir une relation avec un homme, sans que celle-ci ne soit parasitée par la sexualité. Une relation saine. J’ai su poser rapidement des limites et adapter ma façon d’être pour ne pas changer le statut de cette relation d’amitié. Ce qui a été vraiment reposant, je pouvais être moi-même sans passer par la séduction. Je n’avais plus besoin de jouer un rôle, de chercher à déclencher des situations (consciemment ou non), je pouvais juste profiter de la relation. 

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